Qui pourrait se douter que derrière la clinquante vitrine de la manifestation la plus prestigieuse du septième art se cache une tout autre histoire ?
Pour la comprendre, il faut remonter le temps jusqu’à l’origine même du festival. Initialement prévue en étroite collaboration avec les États-Unis en 1939 pour concurrencer la Mostra de Venise de l’Italie fasciste, mais annulée à cause du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, sa première édition eut véritablement lieu en 1946 au lendemain du conflit. Le souffle et les espoirs de la Libération se ressentent jusque dans le palmarès où figure en haute place La Bataille du rail de René Clément, hymne à la Résistance cheminote produit par une coopérative ouvrière fondée par la CGT.
Malgré le succès de cette première édition, la deuxième en 1947 fut longtemps menacée par le refus de l’État de financer l’organisation du festival dans un pays souffrant encore des pénuries et du rationnement. Les producteurs américains se montraient cette fois-ci très réservés. Il aura fallu toute l’énergie du maire de Cannes, le Dr Picaud, de ses habitants et des syndicats pour que la manifestation puisse voir le jour. C’est alors toute une ville qui se mobilise pour remettre bénévolement en état les plages, les boulevards et les jardins. Plus impressionnante encore fut la construction du Palais de la Croisette, nécessaire pour accueillir les projections. Pendant quatre mois seulement, des ouvriers, dont une large partie est syndiquée à la CGT, sont présents jour et nuit sur le chantier pour tenir les délais dans des conditions souvent précaires. À Paris, cet effort est relayé et prolongé par l’infatigable député communiste de Nice, Virgile Barel. Sans ce volontarisme et cette énergie, Cannes aurait pu perdre définitivement ce qui deviendra l’événement cinématographique le plus attendu de l’année...
Dans cette histoire populaire et syndicale du festival de Cannes, l’historien Tangui Perron montre que la bataille pour l’existence d’un cinéma français et la pérennisation de la diversité culturelle commence par la construction d’un palais, suivie d’une importante manifestation de rue à Paris, en janvier 1948. Les lois d’aides, qui expliquent pour partie la vivacité du cinéma hexagonal et de belles et nombreuses coproductions, y trouvent leurs sources. Ce livre met ainsi en lumière le lien étroit et méconnu qui unit le cinéma et le mouvement ouvrier.
Tangui Perron est docteur en histoire, spécialiste des rapports entre mouvement ouvrier et cinéma, et chercheur associé au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains. Auteur notamment de Rose Zehner & Willy Ronis, naissance d’une image (Éditions de l’Atelier, 2022), il a également dirigé l’ouvrage L’Écran rouge, syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo (Éditions de l’Atelier, 2018).
Who could have imagined that behind the glittering showcase of the most prestigious event of the seventh art hides an entirely different story?
To understand it, we need to go back in time to the very origins of the festival. Initially planned in close collaboration with the United States in 1939 to compete with Fascist Italy's Venice Film Festival but cancelled due to the outbreak of the Second World War, its first edition was held in 1946 in the aftermath of the conflict. The spirit and hopes of the Liberation were reflected in the list of prize-winners, which included René Clément's La Bataille du rail, a hymn to the railway workers' Resistance produced by a workers' cooperative founded by the CGT.
Despite the success of this first edition, the second in 1947 was threatened for a long time by the refusal of the State to finance the organisation of the festival in a country still suffering from shortages and rationing. American producers were very reserved this time round. It took all the energy of the mayor of Cannes, Dr Picaud, the town's residents, and the trade unions to ensure that the event could go ahead. The whole town mobilised to restore the beaches, boulevards, and gardens on a voluntary basis. Even more impressive was the construction of the Palais de la Croisette, needed to host the screenings. For just four months, workers, many of them CGT union members, were on site day and night to meet deadlines in often precarious conditions. In Paris, this effort was supported and extended by the indefatigable Communist MP for Nice, Virgile Barel. Without this determination and energy, Cannes could have lost forever what would become the most eagerly awaited film event of the year...
In this popular and union history of the Cannes Film Festival, historian Tangui Perron shows that the battle for the existence of a French cinema and the perpetuation of cultural diversity began with the construction of a palace, followed by a major street demonstration in Paris in January 1948. The support laws, which partly explain the vitality of French cinema and the large number of successful co-productions, have their origins here. This book sheds light on the close and little-known link between cinema and the workers' movement.
Tangui Perron has a doctorate in history, specialising in the relationship between the workers' movement and cinema, and is a research associate at the Centre d'histoire sociale des mondes contemporains. The author of Rose Zehner & Willy Ronis, naissance d'une image (Éditions de l'Atelier, 2022), he has also edited the book L'Écran rouge, syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo (Éditions de l'Atelier, 2018).